Sénégal – Ecole : une seconde chance existe avec l’alphabétisation !

9 octobre 2013

Sénégal – Ecole : une seconde chance existe avec l’alphabétisation !

Apprenants du Centre d'Alphabétisation Sœur Marie Luc Vaderloge de Ouakam (Dakar-Sénégal)
Apprenants du Centre d’Alphabétisation Sœur Marie Luc Vaderloge de Ouakam (Dakar-Sénégal) Photo : SPN

Est-ce une injustice, une ignorance ou une insouciance de la part des parents d’élèves qui retirent prématurément leurs enfants de l’école, qui serait à l’origine de ce taux élevé d’analphabètes dans nos pays (56% au Sénégal) ? Ou serait-ce encore la faute des enfants qui, pour certains, ont des limites et, pour d’autres, sont pressés d’entrer dans le monde de l’argent… Bref, les causes de l’analphabétisme sont multiples et variées. Cependant, nous ne nous intéresserons pas aux causes de l’analphabétisme mais plutôt aux innombrables bienfaits de ce qu’il convient d’appeler une seconde chance pour des milliers de jeunes et d’adultes qui ont accusé un important retard voire un blocage total dans leur scolarisation : l’alphabétisation en langue française. En effet, avec l’alphabétisation, l’espoir est permis et un nouveau départ est possible. Le rattrapage scolaire constitue un bien inestimable pour bon nombre d’adolescents et d’adultes de la capitale Sénégalaise. Au-delà de l’apprentissage de la lecture, de l’écriture, du calcul et de la pratique du français, l’alphabétisation offre encore une possibilité d’être quelqu’un… Le centre d’alphabétisation Sœur Marie Luc Vaderloge de Ouakam (Dakar) nous servira de modèle.

Ils sont des centaines à ne pas pouvoir lire une affiche dans la rue, une notice de médicament, le journal, une lettre personnelle ; écrire leur nom ; dialoguer en français ; tenir ses propres comptes. Toutes ces personnes ne sont pas différentes de nous mais seulement victimes de l’analphabétisme. Pourtant, certains d’entre eux ne se résignent pas à ce « triste » sort, ils veulent refaire leur retard ou rectifier l’erreur de leurs parents ou leur propre erreur. « Il n’est jamais trop tard pour apprendre » se disent-ils. Et, à juste titre ! Ces mêmes jeunes ou adultes, hommes et femmes, diront quelques années plus tard : « je n’ai pas regretté d’avoir repris mes études », « je n’ai plus de complexe à m’exprimer en français », « je n’ai plus besoin de personne pour lire et comprendre une information » … Toutes ces phrases témoignent de l’apport de l’alphabétisation en langue française pour ces personnes.

Rien n’est perdu, pouvons-nous dire, lorsqu’on voit la joie de vivre sur le visage des certains de ces jeunes qui fréquentent le centre d’alphabétisation Sœur Marie Luc Vaderloge de Ouakam. Leur enthousiasme surprend plus d’un quand on sait que beaucoup d’entre eux ont déjà réussi dans un métier particulier sans avoir été à l’école. Les plus pessimistes leur diront que c’est une perte de temps. Mais c’est sans compter sur la détermination du jeune maçon qui range sa truelle pour aller aux cours du soir, le courage de la coiffeuse qui troque son peigne avec un stylo, l’intelligence du commerçant qui range sa marchandise pour une leçon d’écriture, la fierté de la petite femme de ménage qui abandonne sa tenue pour enfiler une belle robe d’écolière. Autant des raisons pour faire ce nouveau départ vers la conquête du respect des autres, de leur estime et considération.

En effet, il s’agit bien d’une nouvelle chance accordée à une frange de la population car s’alphabétiser c’est refaire son retard, combler un vide et mieux s’outiller dans le métier que l’on exerce. Avec l’expérience du « centre alpha », on se rend compte que les jeunes se sentent mieux dans leur peau et sont, de plus en plus, motivés. Les témoignages qui confirment cela sont très nombreux. Certains estiment que l’alphabétisation leur a permis d’être indépendants ou d’avoir une revalorisation dans leur emploi. D’autres diront que grâce aux cours d’alphabétisation leur rêve d’avoir des diplômes s’est réalisé. Même si le centre, à sa création, n’était destiné qu’aux petites bonnes de Dakar, aujourd’hui il accueille une population nombreuse et très variée. Tous les profils y sont présents : les sans emploi, les ouvriers, les taximen, les sportifs, les commerçants etc. Mais ce qui lie tout ce monde, c’est les bienfaits dont tous bénéficient. La plupart d’entre eux viennent pour apprendre à s’exprimer en français, ce qui constitue une première vocation du centre. Mais depuis quelques années, les apprenants en fin de cycle sont présentés aux examens nationaux. Ce qui semblait utopique au départ devient une réalité : avoir un diplôme après un retard scolaire énorme ! Ainsi, l’alphabétisation en langue française contribue grandement à l’épanouissement et au développement personnel des jeunes et adultes analphabètes. Les employés constatent une amélioration dans leur communication avec leurs employeurs (qui sont Français dans la majorité des cas). L’analphabète d’hier qui ne savait ni lire ni écrire peut être fier de pouvoir désormais lire ses lettres soi-même et d’y répondre sans l’aide de personne. Le commerçant qui, dans ses voyages d’affaires, se perdait dans un monde du « tout est écrit » parvient à s’orienter grâce à son initiation à la lecture. Mieux encore, le centre d’alphabétisation Sœur Marie Luc Vaderloge peut se vanter d’avoir instruit des jeunes qui ont réussi à décrocher le Certificat de Fin d’Études Élémentaires (C.F.E.E.), le Brevet de Fin d’Études Moyennes (B.F.E.M) et même le Baccalauréat. Mais il faut dire que le plus grand diplôme qu’ils obtiennent avec l’alphabétisation c’est la fierté d’avoir fait un pas de plus dans la scolarisation, d’avoir pu vaincre le complexe et la peur de parler français, c’est aussi la joie de voler avec ses propres ailes dans le ciel de la langue française qui était inaccessible.

Les gouvernants gagneraient plus à soutenir le courage et l’initiative des ces milliers de jeunes et d’adultes qui n’ont pas baissé les bras, qui se sont donné une seconde chance dans les études. Il s’agit d’un plaidoyer pour la survie et la pérennisation de l’alphabétisation en langue française. Les analphabètes méritent plus que de subir une discrimination au sein de l’école ; ils y ont leur place et poursuivent des objectifs différents de ceux des pensionnaires du système éducatif classique. Le regret ce n’est plus d’avoir quitté l’école prématurément mais de n’avoir pas pu saisir la seconde chance qui s’est offerte à nous.

Silmang Pierre Ndior

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